... en passant par la Bouscasse.
Invités ensemble à un apéro dînatoire alors que nous ne nous connaissions que de vue, nous voilà Stéphan Garnier* et moi, assis l’un à côté de l’autre… Faire connaissance… Bla-bla… Quelques mots sur la profession de chacun, on bifurque sur les loisirs, la musique… Au gré de la discussion, je comprends que Stéphan se passionne pour les pommiers. Nous échangeons quelques mots en essayant de ne pas ‘focaliser’ pour rester en convivialité avec les autres personnes autour de la table, mais nous savons déjà que les arbres nous rapprocheront bientôt. Entre deux cacahuètes, nous parlons de taille, de greffe et de variétés anciennes, avec le projet d’échanger quelques notions au pied des arbres.
Ce fut bientôt fait, dans le verger familial de St Martin de Boubaux, en Cévennes, dans un coin de Lozère tout proche d’Alès. Il y a sur cette commune, des versants ensoleillés où se lovent des « vergers-potagers » abrités des vents par des châtaigneraies. Il a beau faire froid, il fait quand même bon abrités par ces pentes sculptées en ‘faïsses’ par des chantiers pharaoniques ancestraux. En Cévennes, le moindre espace favorable était cultivé… Pommiers, poiriers et pêchers sont répartis au dessus de ‘raies’ de patates, d’asperges ou de pois. Ils témoignent d’un temps où l’agroforesterie n’était que bon sens, avant même que le mot existât. Tout faisait ventre, il fallait produire l’essentiel de la nourriture familiale.
Nous voici auprès de très vieux arbres de plein vent, marqués par les ans. Que faire avec ces vieux sujets vénérables très abîmés à cause de leur âge avancé ? Certaines vieilles branches pourraient rompre et deviennent dangereuses pour les nièces qui y habitent. Elles s’initient au potager sous la houlette d’un grand-père qui commence à avoir des difficultés à s’occuper seul de tout cet espace.
Nous envisageons une taille drastique de quelques grands et vieux pommiers, dans l’espoir de redonner de la vigueur aux parties des arbres les plus marquées par le temps. Il s’agit aussi de prévenir la chute des quelques branches susceptibles de rompre. Nous évoquons le nom des variétés des vénérables sujets en présence. Il y a de la Djaleï, de la Bouscasse et … de la Jaune de Salomon. Je me souviens des noms de variétés répertoriées par Vergers de Lozère, pour les avoir inscrites sur le site, sous la houlette de Sabine Rauzier et Jacky Brard, mais aucune « Jaune de Salomon » ne revient à l’oreille de ma mémoire.
Aurais-je la chance de tomber sur une pomme de variété ancestrale lozérienne pas encore retrouvée ? Je m’emballe sans doute un peu… Surtout qu’on me raconte qu’elle est particulièrement bonne et in situ, très résistante aux maladies et aux intempéries. La saison est avancée mais je prélève quand même une paire de greffons, on ne sait jamais… Je repars heureux de ce moment partagé avec Stéphan et son papa, et avec du grain à moudre, de quoi passer quelques moments de recherche au Centre National de Pomologie, que du bonheur !
Sans attendre de me rendre à Alès, j’effectue une recherche sur Internet. Les références d’un article évoquent le sujet : « De la Bouscasse de Salomon… à la Reinette de Landsberg » publié en 1999 par Christian Catoire (fondateur du centre de pomologie) pour la revue Fruits oubliés (n°1, de mars 1999). On y lit qu’après avoir été retrouvée près de St Michel de Dèze en montant sur le col de Pendedis, cette variété aurait été assez répandue dans la Vallée Longue.
Une recherche avec ce nouvel indice, Reinette de Landsberg, fait remonter quelques rares évocations pomologiques. La Reinette de Landsberg fait partie de la liste des pommes décrites par André Leroy, en 1873, dans le tome IV de son Dictionnaire de Pomologie. Il mentionne le fait que les fruits sont particulièrement bien attachés à l’arbre, supportant bien les intempéries.
Les épisodes cévenols secouaient-ils les fruitiers, déjà au XIXème siècle ? C’est peut-être une des raisons de son importation dans les Cévennes. Il y a fort à parier qu’elle fut rapportée d’Allemagne par quelque luthérien. Sur le plan gustatif, la description est élogieuse : « chair blanche fine et tendre quoique compacte ». Il mentionne une eau abondante, très sucrée, acidulée, parfumée, des plus savoureuses. Maturité de novembre à mars. André Leroy la décrit comme de première qualité. En raison de la très faible production de pommes de cette année, il faudra attendre 2022 pour la goûter…
Vous qui lisez cette histoire, avez-vous entendu parler de Jaune de Salomon, ou de Bouscasse de Salomon par devers-vous ? Si c’est le cas, merci de nous le signaler par un commentaire en bas de cet article. Vergers de Lozère pourrait venir prélever des greffons, ou quelques fruits, en vue de comparer la fructification.
Merci Stéphan, pour ces bons moments ensemble et cette belle (re)découverte. Nous n’avons pas encore observé les vieux poiriers… Affaire à suivre !
Vous connaissez ou avez entendu parler d’une variété qui vaut le détour ? Manifestez-vous sur le site. C’est ensemble que nous pouvons avancer dans la conservation des variétés fruitières locales.
*Stéphan s’est lancé dans la plantation d’un nouveau verger composé uniquement de variétés traditionnelles, il participe ainsi à la dynamique engagée par l’association « Renouveau de la Pomme – 100 % Cévennes » dont il est membre.
Patrick Maurin, relecture et grains de sel par Jacky Brard.
Voilà un article qui me rappelle une aventure chez moi dans les Hautes-Alpes : avec des voisins que je connais depuis très longtemps, installés là depuis des générations et des générations, avec qui j’avais déjà souvent discuté sans jamais parler de ma passion pour les fruitiers. Et voilà qu’un jour la discussion dérive au hasard sur les pommiers, et eux de m’apprendre qu’ils ont de très vieux arbres chez eux. Le rendez-vous est pris. Et puis un jour, visite guidée : le papi me fait découvrir des variétés que je cherchais autour de chez moi depuis longtemps : la pomme d’Adam, la poire verre longue (en réalité une variété de la Curé), la Royale d’hiver, la Bon Chrétien d’hiver, etc. et quelques variétés sans nom qui poussent là depuis des générations comme la « pomme à boudin » locale, etc. Bref, un grand moment de bonheur, un frigo plein de greffons, et l’année suivante le sourire radieux du papi à qui j’offrai ses variétés greffées par mes soins. Ses arbres sauvés de la vieillesse, du renouveau dans son verger, le printemps qui arrivait… Bref, le bonheur !